À Saint-Nazaire, Audrey donne une voix aux signes pour mieux se comprendre

Sourde de naissance, Audrey Florenceau propose aux jeunes parents des ateliers signés, pour leur apprendre à mieux communiquer avec leurs bébés.

À 36 ans, Audrey Florenceau a déjà vécu plusieurs vies. Sourde de naissance, elle a appris très tôt que la communication n’est pas qu’une affaire de mots. Depuis toujours, ses mains, son regard et ses gestes lui servent de passerelles. Des ateliers “bébé signe” qu'elle propose aujourd’hui, en passant par ses années sur les routes comme conductrice poids lourds, ou encore ses succès en équitation depuis l'enfance, son parcours raconte une même histoire. Celle d’une femme qui n’a jamais renoncé à se faire comprendre, ni à ouvrir des portes aux autres.

Premier défi derrière le volant

C’est d'abord sur la route qu’Audrey a décidé de se lancer un premier défi. En 2015, elle obtient son permis poids lourds, devenant la première femme sourde conductrice de poids lourds en France. Sa réussite a d'abord pris racine dans son refus de se laisser enfermer par les préjugés. « Selon ma conseillère à Cap Emploi, le seul métier possible pour moi, c’était femme de ménage. Alors j’ai voulu prouver le contraire ! » se souvient-elle. Le défi est relevé, mais sur le terrain, les difficultés apparaissent pourtant. Les échanges quotidiens sont parfois usants, la jeune femme doit lire sur les lèvres en y concentrant toute son énergie, y compris pendant les pauses repas. « La conduite en soi était facile. Ce qui fatiguait, c’était cette communication permanente, forcée, où tout reposait sur mes yeux. À la fin, mon cerveau était saturé. Je me couchais tôt, épuisée » témoigne-t-elle. Elle se souvient aussi des maladresses. Ses employeurs, fiers d’afficher la « première conductrice sourde » et décorés d’un prix du Medef pour l’insertion, ont pourtant rarement pris la peine d’organiser un entretien annuel avec interprète. Imaginez être évaluée, et devoir parler de vos besoins professionnels sans langue commune… Malgré la fierté d’avoir relevé ce défi et exercé pendant huit ans, Audrey a choisi d’arrêter après la naissance de son fils, le rythme imposé ne convenant pas à sa vie de jeune mère.
 

L’aventure des Mains d’Audrey, quand les signes ouvrent un monde

Audrey Florenceau fonde en 2023 « Les Mains d’Audrey », pour transmettre aux parents les bases du bébé signe, une pratique qui associe des signes issus de la langue des signes française, à des mots simples du quotidien. Ses ateliers sont donnés à travers diverses structures (médiathèque, relais petite enfance…) ou à domicile, et elle cherche aujourd'hui une association partenaraire pour pouvoir disposer d'une salle et continuer à développer son activité. « Prenons l’exemple du biberon. Un bébé pleure parce qu’il a faim. Si le parent signe biberon, l’enfant comprend qu’il va être nourri et il peut patienter. Cela engendre moins de cris, moins de stress » explique-t-elle. La première séance avec les parents se déroule avec l'aide d'un intreprète, puis elle propose des histoires, des comptines, et des jeux pour répéter les signes, encore et encore. Les thèmes abordés couvrent le quotidien, l’environnement, ou les émotions. Cette dernière étape est plus difficile car elle demande aussi de se concentrer sur les expressions du visage. « Je donne souvent une vingtaine de signes par séance. Mais je dis toujours aux parents que le but n’est pas que le bébé signe tout de suite. L’essentiel, c’est qu’il comprenne » ajoute-t-elle. Pour Audrey, la commmunication est depuis toujours une passion. Elle avait 11 ans lorsqu'elle a découvert l’équitation, avant de rejoindre l'équipe de France handisport et de remporter un impressionnant palmarès. Et très vite, son rapport avec l’animal s’est imposé, là encore, comme une forme de langage parallèle. « Aujourd'hui ma jument semble aussi comprendre la différence. Elle sait que je suis sourde. Quand une voiture arrive derrière nous, elle se serre à droite et bouge une oreille comme pour me prévenir. C’est notre manière de dialoguer, là encore avec un signe » sourit-elle.

Témoigner, pour changer le regard

Audrey ne se contente pas d’animer des ateliers. Elle s’implique aussi dans la sensibilisation, et participait le 16 septembre dernier à Saint-Nazaire au salon “Mobilités et Accessibilités”. Elle se souvient de ce couple qu'elle y a rencontré, inquiet pour sa fille sourde. « Les parents avaient peur qu’elle n’ait pas d’avenir. Quand je leur ai expliqué que j’avais été conductrice poids lourds et que j'avais maintenant mon entreprise, ils étaient stupéfaits. C’est ça aussi qui est important, montrer par l’exemple que tout est possible » insiste la jeune femme. Car pour Audrey, la communication ne s’arrête pas aux gestes. Elle est aussi affaire de confiance et de croyance en ses propres capacités, « j’ai eu la chance d’avoir des parents qui ont toujours cru en moi, même quand tout le monde disait que ce serait impossible. C’est pour ça que je suis devenue la femme que je suis aujourd’hui ». La société évoluent-elle aujourd'hui dans le bon sens ? « L'école pas tout à fait, car il existe quelques classes avec des enseignants sourds, mais pas dans toutes les villes. Les étudiants sourds ont du mal à avoir des traducteurs en langue des signes à temps plein, dans les études supérieures et universités. Alors souvent ils arrêtent, car ils sont fatigués de faire valoir leurs droits, ce qui fait qu'il n'y a pas assez de professionnels sourds pour pouvoir à leur tour enseigner aux enfants sourds. C'est un sujet compliqué » reconnait-elle. De la carrière équestre aux routes de France, des cabines de camion aux salles d’ateliers, les mains, les yeux et le sourire d'Audrey sont autant d’outils pour dialoguer avec le monde.