Saint-Nazaire : le restaurant La Grillandine s’éteint après 50 ans d’histoire culinaire

Le 21 septembre, après leur dernier service, Isabelle et Patrick Léger prendront leur retraite. Le restaurant sera ensuite transformé en logement.

Le restaurant La Grillandine fermera définitivement ses portes le 21 septembre au soir. Isabelle et Patrick Léger, qui le tiennent depuis quatorze ans, partent en retraite. Le lieu sera ensuite transformé en logements, et avec lui disparaît l’un des plus anciens restaurants traditionnels de Saint-Nazaire. Ouvert en 1974 par monsieur Le Port, le restaurant s’était fait connaître grâce à sa grande cheminée et ses grillades. Avant de devenir, avec Patrick, une table gastronomique réputée de la ville.

Une vie en cuisine

Dans la salle, au-dessus de la cheminée, trône une photo jaunie de Patrick enfant, dans l’atelier de pâtisserie de ses parents à La Charité-sur-Loire dans la Nièvre. « J’ai toujours aimé ça. J’ai commencé à travailler à 15 ans dans la restauration » confie-t-il. Son apprentissage chez Marc Meneau, chef étoilé à Auxerre, lui ouvre les portes des plus belles tables françaises : La Mère Poulard au Mont-Saint-Michel, Christophe Leroy à Saint-Tropez, Le Vivarois à Paris, ou encore Lyon. « Je travaillais pour Relais & Chateaux. On me demandait de voyager d’un restaurant et d'une région à l'autre. J’ai ainsi pu apprendre toute la tradition culinaire française » raconte-t-il. La reconnaissance est également venue avec l'ouverture de son propre restaurant, L'Espérance, à Pouilly, auréolé de 2 toques et d'un 15/20 au Gault&Millau.

Une deuxième vie après la rencontre

« La Grillandine, c’est notre bébé, notre deuxième vie » disent en chœur Patrick et Isabelle, qui se sont rencontrés en 2009. Patrick est alors venu travailler dans la région, à Guérande, où il tente la restauration collective. Isabelle, elle, a beaucoup bourlingué. Originaire de Saint-Malo, où ses parents commerçants tenaient un Gitem, elle travaille ensuite à Saint-Nazaire. Elle passe le concours de l’Éducation nationale, suit une formation de gouvernante, travaille au lycée Grand Air de La Baule, puis comme secrétaire de direction au collège de Saint-Joachim. Quand ils se rencontrent, presque quinquagénaires, Patrick a besoin de plus de liberté. « À l’époque, on faisait souvent des concours de repas entre copains, et j’en avais assez de la restauration collective » dit-il. Ils décident de travailler ensemble, signent la reprise de La Grillandine et rachètent l’établissement à Monsieur Sauveplane. Patrick va pouvoir recommencer à cuisiner comme il l’aime.

Des débuts exigeants

Reprendre un restaurant de grillades pour le transformer en table de gastronomie française traditionnelle n’a pas été évident. « Je voulais faire la cuisine que j’ai toujours apprise » insiste Patrick. Les deux premières années sont les plus difficiles. Mais avec chaleur, passion et savoir-faire, le chef établit sa réputation et conquiert autant les vieux habitués que de nouveaux clients. Isabelle et Patrick refont la déco, changent la cuisine petit à petit. Ils s’accrochent, Patrick impose sa touche culinaire, et ils achètent les murs en 2018. Le pari de bonne table est réussi. La Grillandine devient très prisée pour les repas de famille qui s’éternisent, « où l’on reste parfois jusqu’à 17 h à table en train de chanter. C’est assez émouvant, car on a l’impression de faire nous-même partie de la famille » témoigne Isabelle.

La cuisine du plaisir et du partage

Impossible de passer à côté des repas de fête de La Grillandine. Avant la Saint-Sylvestre, les clients choisissent leur table parfois avant même que Patrick ait décidé le menu. « Pas besoin, nous réservons les yeux fermés » lui lancent-ils. Ici, rester 2h30 à table n’a rien d’exceptionnel. Patrick aime tout cuisiner, de la viande au poisson, en passant par les abats, desserts, légumes, et sauces. « La cuisine, c’est formidable. C’est une source inépuisable de création, c’est une passion » explique-t-il, avant d’ajouter : « Mon salaire, c’est le retour de mes clients. C’est ça qui compte ». On vient pour son parmentier de homard, ses ris de veau, ses gaufres aux escargots… La carte change en permanence. Le chef choisit lui-même ses produits, sans jamais se faire livrer. « On n’est jamais resté trois ou quatre mois sur une même carte. Quand tu es cuisinier, tu dois toucher à tout » insiste-t-il. Parfois, le couple ferme une journée supplémentaire pour essayer de nouvelles recettes. « Ça prend du temps, mais je ne conçois pas une autre façon de travailler » ajoute le chef.

« Restaurant, c'est un vrai titre »

 « Une carte, ce n’est pas une bible. S’il y a trop de plats, il y a forcément un congélateur derrière » renchérit Patrick. Même en fin de carrière, il met un point d’honneur à continuer de créer. Les clients le savent bien, ils mettent 5 minutes à déguster ce que le chef a mis parfois 5 ans à apprendre. Il a songé à ajouter des notes nouvelles, à changer de style, mais s’est rendu à l’évidence. « 90 % de nos clients demandent des plats gastronomiques traditionnels. Frais, bons, en quantité, avec une belle présentation » constate-t-il. Une clientèle de gourmands et de gourmets jamais en reste lors des fêtes de fin d’année, de la Saint-Valentin, ou du menu Beaujolais, incontournable pour ce natif de Bourgogne. On y savourait des œufs meurette, des terrines de pâté en croûte au Beaujolais, un saucisson en brioche ou un poisson de rivière comme le sandre. « Restaurant, c’est un vrai titre » insiste Patrick, qui réalise lui-même son foie gras, ses saumons et magrets fumés.

Une grande famille

Patrick reste discret en cuisine, quand Isabelle aime faire le lien avec les convives. Les Nazairiens les plus anciens lui racontent l’histoire du restaurant et du quartier, autrefois riche en commerces. « Une cliente âgée nous a confiés qu’après la guerre, avant d’être un restaurant, il y avait ici un bar, et qu’elle venait à 18 ans danser la guinguette sur le trottoir, le dimanche après-midi » raconte Isabelle. Le couple a, lui aussi, amassé des anecdotes complices : un armoricain pour l’anniversaire d’une centenaire, une bague dissimulée dans un gâteau, des 70 ans de mariage avec arrivée en Panhard rose d’époque, ou encore l’étiquette « tu vas être papa » collée sur une bonne bouteille. Depuis l’annonce de leur départ, les messages chaleureux affluent… La Grillandine va disparaître faute de repreneur. Avant de tourner la page, Patrick et Isabelle ont concocté un menu “clap de fin” pour le samedi 20 et le dimanche 21 septembre. On pourra savourer une dernière fois leur cuisine. Le dimanche à partir de 17h, un vide-restaurant suivra le dernier service. Et il n’est pas impossible qu’il reste encore quelques clients à table. « On ne réalise pas encore. On ne sait pas comment on finira cette dernière journée » confient-ils. Comme Le Bon Accueil jadis transformé en Appart'Hôtel, c'est tout une époque qui s'efface…