Carine Verrelle, pharmacienne à Saint-Nazaire : « donnez-nous les moyens de remplir nos missions »
Au lendemain de la grève du 18 septembre, Carine Verrelle dénonce la fragilisation des officines, pourtant au cœur de l’accès aux soins des habitants.

Le jeudi 18 septembre, près de neuf pharmacies sur dix en France ont gardé leur rideau baissé. À Saint-Nazaire, la mobilisation a été fortement suivie. L’appel à la grève venait de la Fédération des syndicats pharmaceutiques de France (FSPF), qui dénonçait la mise en place d’un nouvel arrêté réduisant les marges sur les médicaments génériques. Derrière ce conflit, c’est toute l’économie fragile des petites officines qui est en jeu, mais aussi le rôle central qu’elles occupent dans l’accès aux soins. Nous avons rencontré Carine Verrelle, pharmacienne installée depuis janvier 2024 près du Jardin des Plantes à Saint-Nazaire. Elle nous raconte pourquoi elle a fermé sa pharmacie ce jour-là, et partage son regard sur l’évolution de son métier.
Une réforme aux conséquences lourdes
La colère des pharmaciens a pour origine l’arrêté du 4 août du gouvernement de François Bayrou, qui fixe le nouveau cadre relatif aux remises applicables aux médicaments génériques, hybrides et biosimilaires. Les laboratoires n’auront plus le droit d’accorder plus de 30 % de remise aux pharmacies sur ces produits, contre 40 % auparavant. Et ce n’est qu’une étape. Le plafond doit descendre à 20 % en 2027. Cette mesure va entraîner une réduction des coûts pour l’Assurance maladie, en faisant baisser les remboursements. Mais pour les pharmaciens, l’impact est brutal. « Quand j’ai repris l’officine en décembre 2024, ce décret n’existait pas. Il n’est donc pas prévu dans mon plan de financement » explique Carine Verrelle. « Les petites pharmacies seront les plus menacées. Les grandes, avec plus de volume, ou des rayons parapharmacie, ont d’autres leviers. C’est une remise en cause directe de leur équilibre économique » poursuit-elle. D’autant plus que la baisse annoncée des prix des génériques, prévue dès le 1er octobre, s’ajoutera à la réduction des marges. « Il est difficile d’évaluer encore l’ampleur de l’impact, mais les années à venir nous inquiètent, car les pharmacies sont en première ligne dans l'accès aux soins » prévient-elle.
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Un rôle de proximité
Installée dans un quartier où la population est âgée, Carine Verrelle constate chaque jour le rôle de proximité de son officine. « Les patients viennent pour le moindre besoin. Ils savent qu’ici, la porte est toujours ouverte. Contrairement au médecin, où il faut attendre un rendez-vous, quelques fois plusieurs jours ou semaines » explique-t-elle. Cela demande des moyens humains, et du temps. Aiguiller vers le bon professionnel, délivrer des conseils rapides, orienter vers des structures… Une aide qui occupe une grande partie du temps des pharmaciens, et qui n'est pas rémunérée. Ces dernières années, de nouvelles missions leur ont également été confiées : la vaccination, les Tests rapides d'orientation diagnostique pour déterminer l'origine des angines, les téléconsultations médicales, l'orthopédie, ou encore les entretiens pharmaceutiques pour les patients sous anticoagulants, asthmatiques, en oncologie, ou encore pour les femmes enceintes. Des services qui ont nécessité des aménagements spécifiques avec de nouvelles pièces. « Mais la rémunération est très faible. Dix euros environ par exemple pour un test » calcule Carine. Les pharmacies remplissent d'autres missions invisibles. Depuis des années, elles préparent gratuitement les piluliers hebdomadaires (PDA) pour les résidents d’Ehpad. Cela demande là-aussi du temps. Depuis le 10 septembre, les syndicats appellent à la grève des PDA, car les pharmacies ne pourront plus se payer sur les remises des génériques.

La désertification médicale, une inquiétude locale
À Saint-Nazaire et dans la presqu’île, la pharmacienne constate aussi la difficulté croissante des habitants à trouver un médecin traitant. Pourtant, la zone n’est pas officiellement classée en désert médical par l'ARS. « C’est incompréhensible. Beaucoup de médecins partent à la retraite, les patients sont sans solution. D'autres médecins se déconventionnent » indique-t-elle. C'est le cas à Pornichet, ou encore à Guérande et La Baule. « Une consultation y coûte 60 € non remboursés. Comment faire quand on a des enfants ? » s'interroge-t-elle. Dans ce contexte, le rôle du pharmacien est encore renforcé, mais sans moyens supplémentaires. D'autant plus que la pénurie de médecins dans certaines zones, entraîne bien souvent la fermeture de la pharmacie. Saint-Nazaire n'est pas épargnée. Et à cette pression économique et médicale, s’ajoute un autre défi, celui de la relève. « Dans ce contexte, les jeunes s’intéressent de moins en moins à l’officine. À Méan, la pharmacie a fermé faute de repreneur » indique Carine Verrelle. Une perte d’accès aux soins de plus pour tout un quartier. Malgré tout, elle garde intacte la foi en sa profession, « c’est un beau métier, avec beaucoup d’humain ». Elle s’inquiète cependant pour ses équipes. « Les préparateurs, qui sont essentiels à nos côtés, ne savent pas ce que va devenir leur métier. L’inquiétude est générale » rapporte la pharmacienne. Chaque jour, 4 millions de Français poussent la porte d'une pharmacie. Mais le réseau se fragilise, alors qu’il est l’un des derniers maillons de proximité toujours accessible.